Un peu pressée? ( Pv. Zhenya Gabrilov )

Il était tôt, assez pour que personne ne m’ait vu pousser l’autre dans la rivière. Mais aussi, assez pour que personne ne puisse se porter à ma défense alors que ladite personne me courait après, prêt, semblait-il, à se venger en suivant la règle du « tout ce que tu me fais, je te le remets en double. » Oups.

« Il va falloir que j’arrête d’ « accidentellement » bousculer les gens dans l’eau, » me dis-je sans arrêter de courir. C’est qu’il avait plutôt menaçant, le grand bonhomme qui me poursuivait en m’invectivant. « Ici, le monde n’est pas sympathique. Personne ne trouve jamais ça drôle. Bande de trouble-fêtes… »

Je gloussai, heureuse, en pensant à celui que j’avais poussé dans la piscine pas si longtemps auparavant. Il n’était pas content, non plus, mais à la fin, j’avais compris que c’était une espèce de bienfaiteur qui aidait les gens à réaliser qu’eux aussi, s’ils le voulaient, pouvaient être des héros. C’était d’ailleurs ce que j’avais voulu faire avec l’inconnu qui me pourchassait sans cesser de me rebaptiser de différents noms, dont certains me parurent assez originaux. Je veux dire, quoi de mieux que de pousser quelqu’un à l’eau pour qu’il s’aperçoive qu’il est meilleur qu’il ne l’avait cru jusqu’à présent? Le simple fait de ne pas se noyer devrait remonter la confiance en soi de n’importe qui… Bon, c’est vrai, la rivière n’est pas tellement profonde, pas vraiment assez pour que quelqu'un se noie, mais est-ce que je n’ai pas entendu quelqu’un dire que c’était l’intention qui comptait? Voilà! Je le savais! Et lui, il trouvait quelque chose à y redire? C’est bon, en plus, faire saucette le matin, ça active le système immunitaire! Il ne devait pas être très brillant, celui qui me courait après. Je veux dire, pour ne pas comprendre que c’était tout pour son bien…

C’est bon, c’est bon, j’avoue. Malgré toutes ces bonnes raisons, j’admets que ce n’est pas tellement à ça que j’ai pensé quand je l’ai poussé. J’ai plutôt pensé que son dos était beaucoup trop accueillant pour que je ne fasse rien. Et puis, c’est pas de ma faute s’il était aussi près de bord! Il n’avait qu’à s’éloigner, et rien ne lui serait arrivé. Vous voyez? C’était bien une faveur que je lui faisais! Dorénavant, il ne s’approcherait plus autant de la rivière, et il ne pourrait pas être la victime d’une personne vraiment mal intentionnée!

C’était juste dommage qu’il ne l’entende pas ainsi. Dommage qu’il soit aussi stupide, aussi. Après tout, c’était quand même des bonnes preuves que je lui avais fournies… Fermé d’esprit, il ne m’avait même pas écoutée! Il s’était contenté de m’envoyer force injures et de ramasser un bâton de bois. Alors maintenant, je courais, et je pensais vaguement au travers de mon souffle court que ç’aurait été mieux si Adrik avait été là, comme ça, il aurait pu courir avec moi, dépenser son énergie et, avec un peu de chance, être moins dangereux face aux rouleaux de papier de toilette. Enfin, je supposais que mon gentil poursuivant ne me laisserait pas aller le chercher pour qu’on puisse continuer cette belle partie de « Tag » à trois plutôt que deux. Vil homme, qui voulait que mon chat devienne gros et meure d'une attaque cardiaque! Là, je commençais à ne pas l'aimer, celui-là. Mais j'avais bien trop de plaisir pour réellement être en colère.

Je ris encore, tout en me répétant que non, vaudrait peut-être mieux à l'avenir de rayer cette activité de mon répertoire. Même si je ne comprenais pas toute la commotion que mes victimes faisaient systématiquement (je dis ça, mais il y a eu une seule victime avant celle-ci, et je ne peux pas vraiment dire qu'elle a fait une commotion... Détails, négligeables détails.) Donc, comme je pensais, même si je ne comprenais pas pourquoi, elles semblaient se fâcher de façon intense après, alors si je ne voulais pas me ramasser dans le trouble... « Prudence, Zheny, prudence. Et peut-être un peu de réflexion, aussi, ça pourrait aider à ton cas. »

Toute à mes pensées, je ne regardais plus devant moi. Ou plutôt, je regardais, mais sans voir : en tout cas, je ne vis pas la pauvre fille qui fut victime de mon atterrissage et arrêt forcés, pas avant qu’elle ne se fut redressée et que je me retrouve avec ses postillons plein le visage.

- Non, mais ça va pas courir de même et ne pas regarder devant toi?

Je la dévisageai un instant, intérêt piqué, quand je me rappelai de mon poursuivant. Hey! Moi qui me plaignais de ma (relative) solitude, voilà mon vœu exaucé! Je souris à pleines dents, heureuse de m’être enfin trouvée une protectrice, et répondis, nonchalamment, comme si tout allait bien et que c'était la réponse la plus normale au monde:

- Non... Mais...

Pendant ce quoi je pointai vaguement derrière moi, m'attendant à ce qu'elle comprenne ce qui se passait, me faufilai derrière la fille, me fis toute petite derrière son dos et sortis une tête de mon abri pour fixer le gars tout rouge qui me chassait, sans manquer de lui tirer la langue bruyamment. Et je le regardai, essoufflé, qui faisait aller son bâton, et je me dandinai derrière ma sauveuse, persuadée que rien de fâcheux ne m’arrivait. Rien de fâcheux ne m’arrivait jamais, alors pourquoi maintenant?