Le chouca à l'aile brisée [Pv: Andrew Goldsmith]

Il y a un endroit, dans l'école, que j'ai découvert et que j'aime beaucoup. Pas du côté des dortoirs, et pas le midi non plus. C'est du côté de l'académie, au second étage, et j'aime surtout cet endroit le soir, après les cours, quand il n'y a presque personne. C'est d'ailleurs en partie pour ça que je l'aime bien, cet endroit: il n'y a presque personne. Ce n'est pas sauvage, ce qui est dommage, mais les forêts ici sont loin des bosquets de chez moi, beaucoup trop différentes pour que je m'y sente à l'aise. De tout façon, il y a toujours trop de gens dans le boisé, surtout à l'heure où j'aime venir ici. Cet endroit que j'aime, c'est la bibliothèque. Les grandes étagères pleines de livres parfois semblables à ceux de Miss Cox, souvent différents, me font penser à d'étranges troncs d'arbres, et parfois quand quelques personnes chuchotent dans la salle, je croirais presque que ce sont les bouquins qui chuchotent leurs secrets. Parfois, je me prends un livre et je me blottis dans un fauteuil pour tenter d'en déchiffrer quelques mots.
Au début, la première semaine, je ne trouvais rien que je puisse lire, même presque comprendre, et je finissait toujours par observer calmement ceux qui étaient dans la pièce aussi. Après, je trouvai un petit livre, plein d'images, un livre pour enfant, qui me rappellait ceux de Miss Cox. Chaque jour, donc, je lisais quelques pages d'un des petits livres de cette série, en regardant de temps en temps les gens autour de moi lorsque je me fatiguais d'essayer de faire du sens de caractères sur une page. C'est cette habitude qui m'a fait remarquer ce garçon, ou peut-être cet homme, qui quelque fois chaque semaine vient travailler à la deuxième table à ma gauche, toujours seul et l'air très très triste. Ça me rendait toujours un peu malheureux, de voir que le bonheur manque autant à certaines personne, ou même, devrais-je dire, à beaucoup de gens dans cette partie du monde. Aujourd'hui, lorsque je le vis entrer, il me sembla encore profondément déprimé qu'à l’accoutumée. Je continuai de lire un peu, mais j'abandonnai vite; je trouvais trop triste que personne ne lui parlait pour essayer de lui redonner du bonheur. Je sais que Miss Cox, et les docteurs de l’hôpital en Californie, m'ont dit de me mêler de mes affaires, de ce qui me concerne, et que ce qui rends les autres gens tristes ne me concerne pas. Seulement, je trouvais ça difficile de laisser les gens être seuls et triste sans rien y faire, et cette fois, un peu nerveux, j'osai n'en faire qu'à ma tête. J'avais envie d'essayer d'aider ce pauvre garçon, ou ce pauvre homme, aux cheveux noir comme la tête d'un chouca et aux yeux tristes, tristes, tristes et bleus comme le ciel sur un ruisseau. Alors, timidement, je vint m'asseoir à côté de lui, et quand il leva la tête vers moi, l'air d'être profondément dérangé par ma présence, j'eus un petit mouvement de recul, mais je ne reculai pas vraiment, je restai assis à côté avec lui. Ne sachant pas vraiment quoi dire, et avec l'impression de vraiment devoir dire quelque chose, j'avançai bêtement, avec mon accent à couper au couteau:

-Bonjour. Moi, c'est Chandu.

Je lui fis un sourire qui se voulait assuré, et je m’efforçai de croire en ce sourire car souvent les humains sont pareils aux bêtes: ils sentent votre peur si vous vous laissez prendre une place dans votre coeur.